CHRONIQUE

Dix raisons
de haïr les Bruins

Hal Laycoe. C’est la fin de la saison ce 13 mars 1955, au Boston Garden. Maurice Richard, qui « ne fait que se défendre », comme dit mon beau-père, est forcé (oui, oui) de se battre contre Hal Laycoe, un joueur qui a fait 25 buts en 20 saisons, incluant ses années avec les fameux Quakers de Saskatoon. Laycoe donne un coup de bâton sur la tête de Maurice, mais c’est Richard qu’un juge de lignes retient, tandis que Laycoe en profite pour frapper Richard. Richard se déprend en frappant le juge de lignes. On connaît la suite : suspension de Maurice Richard pour le reste de la saison et pour les séries par le président de la Ligue nationale, l’infâme Clarence Campbell. Et l’émeute du Forum. Mais tout ça commence sur la patinoire des Bruins !

Don Cherry. Il sévit millénaire après millénaire sur le Canada masculin tout entier, vu que Hockey Night in Canada est l’émission canadienne la plus écoutée en anglais. Il cultive sur les ondes de la télé publique les préjugés les plus rétrogrades sur la virilité et les sports de contact. Sans parler de sa xénophobie galopante. Ceux qui l’ont connu comme joueur peuvent témoigner pourtant que, quand venait le temps de se frotter les épaules dans les coins (ronds), « il s’enfuyait comme un petit lapin » (Gilles Tremblay). Sans parler de ses sublimes compilations vidéo « Rock’em and sock’em », apologie néolithique de la violence. Où a-t-il connu son heure de gloire comme entraîneur ? Ouais. Exactement.

La laideur. Oublions Bobby Orr, le Robert Redford du hockey. Les Bruins sont laids. Ils veulent être laids. Faire peur. D’où vient l’inspiration pour le masque du tueur dans Friday the 13th ? C’est celui de Gerry Cheevers ! Qui lui-même y ajoutait des cicatrices ! Regardez-les : de Phil Esposito, qui a marqué un nombre exagérément élevé de buts affreux parmi ses 717, à Brad Marchand, en passant par Milan Lucic, ils ont des traits physiques communs. Hasard ? Je ne crois pas. Les Bruins, c’est le degré zéro de la poésie sportive.

Zdeno Chara. 8 mars 2011, Centre Bell. Encore la fin de la saison. Encore le meilleur joueur de l’équipe sorti, mais autrement : on a cru voir la mort en direct, ce soir-là, quand Max Pacioretty est resté étendu sur la glace. Un « accident ». À quelques millimètres de la paralysie. Ça me rappelle ce procès où le policier a été acquitté, après avoir tué d’une balle en plein front un jeune homme noir désarmé : « Le coup est parti tout seul. » Ben oui.

Le cerveau. Le Dr Robert Cantu est un chercheur à la Boston University. Il a étudié 150 cerveaux de sportifs professionnels morts. Pour lui, le comportement de la LNH par rapport aux commotions est « une honte ». Tant la tolérance aux bagarres que le peu de cas qui est fait des mises en échec dangereuses. Or, parmi les équipes les plus rétrogrades à ce chapitre : les Bruins. Il suffit de voir la vidéo d’avant-match au TD Garden : bagarres, sang, rentre dans la bande… C’est très précisément ce hockey-là qu’on vend et qu’on fabrique.

Boston. Comment une si belle ville peut-elle avoir engendré une telle équipe ? Ville pleine de surprises et de raffinement, symbole de tout ce que les États-Unis font de mieux. Ça fait mal d’aimer Boston, le printemps.

Patrice Bergeron. Le meilleur joueur québécois des deux équipes, et en fait un des meilleurs de la ligue, joue pour les Bruins. Et vous voudriez qu’on soit indifférent ?

Rene Rancourt. Il n’avait pas ce qu’il fallait pour l’opéra. Il chante l’hymne national au Garden depuis 35 ans avec son gilet jaune sous sa veste noire. Il termine le poing en l’air pour donner un ton militariste à l’affaire, et ça fonctionne très bien. J’aime mieux la générosité. J’aime la grandeur. J’aime mieux Ginette Reno.

Les traîtres. C’est un phénomène propre à Montréal : ces fans des Bruins, qui se passent leur atavisme de père en fils sans honte. Voyez-vous ça, à Boston, un fan affiché du CH ? Impossible. Ce serait un cas d’exil du Massachusetts. Mais ici, plein de gens sans antécédents judiciaires font étalage de leur amour des Bruins. On en connaît même qui fréquentent les boutiques de couturiers, qui lisent les romans à la mode, qui reviennent de Toscane avec un air supérieur, et qui se vautrent dans l’amour des Bruins le printemps venu. Ces Montréalais-là s’aiment-ils vraiment ?

La justice. Le plus révoltant, le plus douloureux, c’est qu’avant, on les haïssait autant, mais on gagnait. Maintenant, ils sont meilleurs. Où est la justice, je vous le demande !

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